1832 - LE CHOLERA DANS
LES DEPARTEMENTS NORMANDS
Cette
page est essentiellement un résumé de l'étude de Jean Vidalenc
parue en 1958 au sein de l'ouvrage collectif dirigé par Louis
Chevalier : " Le Choléra, La première Epidémie du XIXe Siècle ", Bibliothèque de la Révolution de 1848, La-Roche-sur-Yon, 1958.
|
La
Normandie regroupe cinq départements : d'une part, l'Eure
et la Seine-Inférieure (aujourd'hui la Seine Maritime),
tous deux formant la région moderne de Haute Normandie, et
d'autre part, le Calvados, la Manche et l'Orne
constituant, eux, la Basse Normandie.
L'épidémie de 1832 ne toucha pas de façon
homogène ces cinq départements.
Le tableau ci-dessous met clairement en évidence
que la Haute-Normandie fut plus sévèrement meurtrie.
Les dates diffèrent légèrement de celles
données précédemment au niveau de la France ; tous les
"rapporteurs" ne sont pas tout à fait d'accord. |
|
|
Recensement
de 1831
|
Dates de l'épidémie
|
Communes
touchées
|
Malades
|
% malades
/ population
|
Décès
|
% décès
/ malade
|
Eure
|
424 248
|
13/04/1832 - 06/10/1832
|
140
|
1 837
|
0,43 %
|
851
|
46%
|
Seine-Inférieure
|
693 683
|
08/04/1832-10/12/1832
|
159
|
6 190
|
0,89 %
|
2 804
|
45 %
|
Calvados
|
494 702
|
20/04/1832-04/10/1832
|
29
|
848
|
0,17 %
|
395
|
47%
|
Manche
|
591 284
|
23/05/1832-14/01/1833
|
17
|
745
|
0,13 %
|
342
|
46 %
|
Orne
|
441 881
|
30/04/1832-16/11/1832
|
13
|
339
|
0,08 %
|
233
|
69 %
|
L'épidémie
arrive donc tout d'abord en Seine-Inférieure puis dans l'Eure,
les deux départements du bord de Seine. Elle se propage ensuite
au Calvados et l'Orne et n'atteint la Manche qu'au mois de Mai
1832. En fait, elle touche en premier les départements ayant
de fortes communications avec la Région Parisienne.
Analysons
rapidement cette crise département par département.
La
Seine-Inférieure
Dès
le 24 février 1832 était publiée dans le "Journal de
Rouen" une "instruction relative au choléra
morbus". Toutefois, l'invasion funeste était encore
considérée comme non avérée !
Le
premier cas ne fut signalé que le 9 avril à Oissel, une
petite commune située en amont de Rouen. Un journaliste
perspicace constatait que l'épidémie "semblait suivre le
cours de la Seine". Trois jours plus tard est enregistré
le premier décès.
Le
6 avril, ce même Journal avait affirmé "d'après
ce qui est déjà arrêté, la maladie arrivant ne nous
prendrait pas au dépourvu ; demain tout sera complètement
organisé"..!
La
résistance s'organise. Des cours furent même organisés
pour aider les médecins, les pharmaciens, les officiers de
santé... à diagnostiquer et à soigner le choléra. Les médecins
rouennais n'hésitèrent d'ailleurs pas à s'inspirer des
travaux et écrits de leur collègues d'Outre-Manche ayant
servis dans les pays tropicaux.
Les
particuliers, eux, utilisent rapidement le chlore comme désinfectant
entraînant du même coup la hausse des coûts de ces
produits. Les malades sont concentrés dans les salles de l'Hôtel-Dieu,
dans celles de l'Hospice Général et à l'annexe de
Saint-Yon.
Malgré
la gravité de l'épidémie, il ne semble pas qu'il y eut à
Rouen ni incidents, ni manifestations. La population
du Havre fut plus "remuante" ; il faut dire
que cet arrondissement connut un fort taux de décès. Qui
plus est, le début de l'épidémie ayant coïncidé avec
des orages violents et l'apparition en baie de Seine de
beaucoup de poissons morts, les pêcheurs crièrent vite à
la colère divine, supposant peut-être une punition du ciel
pour avoir deux ans plus tôt expulsé le souverain légitime... |
|
|
|
Arrondissements
|
Malades
|
Décès
|
% décès / malade
|
Rouen
|
691
|
394
|
57 %
|
dont la ville
|
550
|
290
|
53 %
|
Dieppe
|
646
|
442
|
68 %
|
Le Havre
|
447
|
339
|
76 %
|
Neufchâtel-en-Bray
|
113
|
73
|
65 %
|
Yvetot
|
406
|
198
|
49 %
|
Rapport
de Gendarmerie du 29 septembre 1832
|
L'Eure
La
maladie se déclare à Evreux même le 13 avril 1832. La
première victime est une femme âgée, souffrante et vivant dans
de mauvaises conditions d'hygiène et de logement. Le fléau
ne touche toutefois pas que les populations indigentes. A Gisors,
c'est un notable M. de Chennevière qui décède emporté par la
maladie contractée sans doute 3 jours plus tôt à Paris. On
suspecte, on accuse très vite les personnes se déplaçant d'être
les vecteurs de l'épidémie : à Louviers, un ouvrier
peintre arrivant de Rouen, dans l'Arrondissement de Pont-Audemer,
une domestique venue d'Oissel en Seine-Inférieure, à Foulbec,
un mendiant venant du Calvados et bien évidemment à Quillebeuf
des marins venant de Honfleur ou de Rouen et morts dans la
ville...
Les
causes du mal restent inconnues. On incrimine l'insalubrité des
zones marécageuses bien qu'il n'y est pas eu de victimes dans les
communes au coeur des marais et des tourbières telles que Marais
Vernier, Sainte Opportune et Bouquelon (marais
au sud du dernier méandre de la Seine situé aujourd'hui au coeur
du Parc Régional de Brotonne).
|
Population |
Malades |
en
% |
Décès |
en
% population |
en
% malades |
Département
de l'Eure
|
424 248
|
1 837
|
0,43 %
|
851
|
0,20
% |
46 %
|
Broglie
|
1 007
|
33
|
3,28 %
|
24
|
2,38
% |
73 %
|
Criquebeuf
|
1 202
|
147
|
12,23 %
|
33
|
2,75
% |
22 %
|
Gisors |
3
533 |
|
|
82 |
2,32
% |
|
Louviers |
|
249 |
|
87 |
|
35
% |
Pont-de-L'Arche
|
1 483
|
148
|
9,98 %
|
37
|
2,49
% |
25 %
|
Vernon |
|
20 |
|
16 |
|
80
% |
Comme nous
pouvons le constater, les chiffres sont très disparates.
|
Le
Calvados
L'épidémie
se manifesta en premier lieu à Bénouville petite commune
située un peu en amont de l'embouchure de l'Orne. De nombreux
marins allaient en cabotage au Havre et à Rouen. Ce furent
ensuite, dans un premier temps, des communes du littoral qui
furent touchées : Honfleur, Trouville, Ouistreham,
La Delivrande.
Plus
tard, la maladie s'étendit à des villes et villages de l'intérieur
des terres : Reux, Pont-l'Evêque, Lisieux, Caen...
Ces localités étaient en contacts fréquents avec la région
rouennaise.
Les
arrondissements du bocage, Falaise et Vire, plus
isolés sans doute, furent les moins touchés.
L'Orne
Les
communes touchées par le choléra sont exclusivement dans les
arrondissements de Mortagne, d'Argentan et de Laigne
et dans une moindre mesure dans celui d'Alençon. Ce département
était à l'écart des grandes routes ; ceci explique sans doute
le faible nombre de communes victimes du fléau : 13 communes soit
4 % du total normand.
Ce
département se distingue par contre par son fort taux de décès
: 69 %. L'isolement routier se traduisit peut-être également par
une absence de secours...
La
Manche
Une
fois de plus l'épidémie semble en rapport direct avec les échanges
avec l'extérieur du département. Ici, ce sont entre autres, les
militaires qui sont incriminés, plus précisément la garnison de
Cherbourg. Les communes les plus touchées furent, une fois de
plus, celles en contact économique fréquent avec la Basse-Seine,
communes situées essentiellement dans les arrondissements de
Cherbourg, Valognes.
|
|
|
Un
dernier tableau !
Celui-ci
nous donne les répartitions "Hommes / Femmes" des
malades et des décès (nous n'avons les répartitions pour le département
du Calvados). Il met donc en évidence la prépondérance des
femmes dans les malades et les décès. Ceci est peut-être dû à
la place importante que tenait dans l'économie locale de l'époque
le travail des nourrices et à l'arrivée d'enfants malades fuyant
Paris seuls ou accompagnés de leurs nourrices. Ces femmes furent
peut-être à la fois les principales victimes et les principaux
vecteurs de l'épidémie en Normandie.
|
Malades
|
dont
Hommes
|
en %
|
dont
Femmes
|
en %
|
Décès
|
dont
Hommes
|
en %
|
% /
Malades
Hommes
|
dont Femmes
|
en %
|
% /
Malades
Femmes
|
Eure
|
1837
|
743
|
40%
|
1094
|
60%
|
851
|
346
|
41%
|
47%
|
505
|
59%
|
46%
|
Seine-Inférieure
|
6190
|
2638
|
43%
|
3552
|
57%
|
2804
|
1222
|
44%
|
46%
|
1582
|
56%
|
45%
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Manche
|
745
|
364
|
49%
|
381
|
51%
|
342
|
178
|
52%
|
49%
|
164
|
48%
|
43%
|
Orne
|
339
|
116
|
34%
|
223
|
66%
|
233
|
90
|
39%
|
78%
|
143
|
61%
|
64%
|
|
>>> 1832 - Le Choléra à Paris - Le cycle urbain de
l'eau à Paris - 1ère partie
Bibliographie |